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était, pour lui, non point le couronnement de sa vie intellectuelle, mais une base ; il reconnaissait en Schopenhauer, ce « docteur de l’Idéal », dont Kant avait parlé presque prophétiquement. Le passage suivant va montrer combien haut il le plaçait à ce point de vue.

« En ce sens, et pour nous aider à fouler d’un pied indépendant les sentiers de la véritable espérance, nous ne saurions, en l’état de notre culture actuelle, rien recommander davantage que la philosophie de Schopenhauer comme base de toute culture ultérieure, soit intellectuelle, soit morale ; et nous n’avons pas de plus noble tâche que de la faire prévaloir comme nécessaire à tous les domaines de la vie. »

La philosophie de Wagner, et spécialement sa confiance en Schopenhauer, ne constituent qu’un des chaînons, ou, pour mieux dire, qu’un des fragments de son individualité artistique. Au point de vue du temps, la préoccupation des spéculations philosophiques succéda pour lui à celle des problèmes politico-sociaux. Mais, chez l’artiste, la spéculation ne pouvait avoir son objet en elle-même. Le « salut par la connaissance », que Schopenhauer avait emprunté aux Hindous, n’était certes pas fait pour réchauffer et pour satisfaire un cœur de poète créateur ; aussi voyons-nous Wagner retourner bientôt aux grands problèmes sociaux. Le salut par la connaissance est le salut de l’individu ; le métaphysicien peut s’en contenter, parce que, dans la conception métaphysique, il sauve, avec lui et en lui, tout le monde phénoménal. Wagner, en ce sens, n’est pas métaphysicien, et, en cela, il est semblable à Gœthe, qui se proclamait bien disciple de Spinoza, mais qui n’en rejetait pas moins la doctrine monistique comme stérile : « Par la doctrine de l’unité universelle », dit-il,