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qu’on en conclut immédiatement à une influence directe de ce dernier, jusqu’à ce que, en comparant les dates, on se soit assuré que, — puisque le plan définitif du poème actuel était de l’automne de 1852 et que ce poème était imprimé déjà au commencement de 1853, tandis que Wagner entendit prononcer pour la première fois le nom de Schopenhauer pendant l’hiver de 1853-1854 et n’entreprit l’étude de ses œuvres qu’au printemps de cette dernière année, — l’influence alléguée est absolument impossible. Bien plus, nous savons aujourd’hui, de source certaine, combien différemment les choses se passèrent. Wagner ne put consentir à se risquer une fois de plus à la lecture d’un « philosophe spéculatif » que parce que ses amis Herwegh et Wille attirèrent son attention sur la merveilleuse concordance qu’il y avait entre sa conception de l’ensemble des choses, telle qu’elle semblait exprimée dans son Anneau du Nibelung et la philosophie de Schopenhauer.

Et on a l’impression qu’en entrant dans le monde de la pensée de Schopenhauer, Wagner artiste a éprouvé comme un sentiment de délivrance et d’émancipation. Tristan et Iseult est la glorification, l’apothéose de l’affirmation de la volonté de vivre. Pour Tristan, il n’y a au monde qu’Iseult, c’est-à-dire le seul objet de son vouloir, et Iseult meurt d’amour ! La nuit, si magnifiquement chantée par eux au second acte, est la nuit d’amour, celle « où nous sourient les amoureuses délices » ! C’est vraiment là un Nirvâna que ni le saint Gautama, ni le sage Schopenhauer n’eussent imaginé… Et ce passage, si souvent cité : « Alors, moi-même je suis le monde », on ne saurait, en bonne justice, le considérer sérieusement comme le cri d’un sage qui veut fuir le monde, d’un être né à nouveau, d’un Jîvanmukta ; car Tristan le profère dans les bras de