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qui pût apporter quelque consolation à ce héraut d’un avenir meilleur, trompé qu’il était dans toutes ses espérances. Et Schopenhauer trempa aussi sa foi en lui-même, par sa constante prédication de la signification incomparable de l’art. Mais il n’est pas de prétention moins fondée que de dire que l’influence de Schopenhauer aurait fait de l’art de Wagner un art « philosophique ».

Tout au contraire, nous retrouvons ici, chez l’artiste, ce que nous avons constaté chez l’écrivain. Avant Schopenhauer, Wagner se meut dans une sphère plus strictement conforme à la doctrine de ce philosophe qu’après qu’il l’a connu ! Le Vaiseau Fantôme, Tannhäuser, Lohengrin et l’Anneau du Nibelung sont les quatre œuvres de Wagner dans lesquelles, sous des angles fort divers, la tragique négation de la volonté de vivre peut, sans exagération, être considérée comme le vrai pivot de la pensée poétique. C’est dans le Vaisseau Fantôme que cette négation, au point de vue exclusivement philosophique, nous apparaît avec le plus de relief ; là, les deux héros, l’un par la souffrance, l’autre par une pitié intuitive, renoncent, solennellement, à la volonté de vivre ; la mort même ne peut être conçue ici que comme une allégorie de la délivrance par la négation. Mais aussi de Tannhäuser et de Lohengrin le poète lui-même a reconnu plus tard que « s’il y a, en eux, l’expression d’un thème poétique fondamental, c’est bien de la tragique grandeur du renoncement, de la négation de la volonté, amplement justifiée, bientôt nécessairement réalisée et seule rédemptrice ». Dans l’Anneau du Nibelung, toute l’action tourne autour du conflit de la connaissance et de la volonté dans le cœur de Wotan. Ici, l’analogie avec Schopenhauer est même si frappante,