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III


Feuerbach était théologien protestant et disciple de Hegel ; en dépit de sa libre pensée, il ne se dégagea jamais de l’étroitesse cléricale, et chez lui, l’empreinte théologique reste aussi indélébile que chez Renan. Et pour ce qui concerne sa croisade rationaliste contre l’Église, elle ressemble à celle des démocrates de 1848 contre la royauté : petites pensées, petits moyens, petits résultats. Schopenhauer, au contraire, a radicalement révolutionné la philosophie, en mettant à sa base, comme premier principe, l’intuition. « En vérité, toute vérité et toute sagesse se trouve, en dernière analyse, dans l’intuition. » Sa vraie hardiesse consiste à attaquer la source de tout rationalisme, pieux ou libre-penseur, réactionnaire ou révolutionnaire, c’est-à-dire à proclamer la subordination de l’intellect à la volonté, et de la connaissance abstraite à la connaissance intuitive, fruit de la perception. Avec un sûr instinct, Schopenhauer s’est dérobé aux sables stériles, pour plonger exclusivement ses racines dans les terrains les plus nourriciers. Le christianisme et l’antique philosophie aryenne de l’Inde, tout le domaine de l’art humain, de Phidias à Beethoven, toutes les sciences naturelles, qu’il avait étudiées en spécialiste, la pensée métaphysique : tel est le sol auquel la philosophie de Schopenhauer emprunte sa sève. La forme individuelle de cette philosophie est ici secondaire. Il n’en reste pas moins vrai que bâtir sur Schopenhauer, c’est bâtir sur le roc ; Wagner le reconnut aussitôt et, de 1854 jusqu’à sa mort, il va y persévérer.

Feuerbach n’avait été pour lui qu’un épisode passager,