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doctrinaire ; et le but qu’il cherche du regard, c’est ce que Schiller appelle « l’État de la liberté prenant la place de l’État de la nécessité », c’est-à-dire la fin de cette révolution permanente.

Si donc on part du point de vue propre à notre « État de nécessité », si on tient cet expédient pour doué d’une valeur réelle et durable, alors Wagner est révolutionnaire ; mais si on pense, avec Schiller, que notre état « demeure à tout jamais étranger aux citoyens, parce que le sentiment ne saurait aller à lui », si on croit, comme Chateaubriand, que « le salariat est la dernière forme de l’esclavage », alors Wagner doit apparaître comme le type du contre-révolutionnaire. Il aspire à sortir des ténèbres pour parvenir à la lumière, du chaos pour atteindre à l’ordre, des « constitutions barbares » (expression de Schiller) pour s’abreuver à « l’eau claire et fraîche de la nature ». (L’Œuvre d’art de l’Avenir, III, 62).

Peut-être verra-t-on là le rêve d’un poète ; et pourtant de grands historiens et des hommes pratiques ont partagé ces vues. Carlyle s’écrie : « Ce millénaire d’anarchie, abrégez-le, versez le sang de votre cœur pour l’abréger[1] ! » Il définit, d’ailleurs, toute notre civilisation en ces termes sanglants : « l’anarchie plus les gendarmes ». Et aussi P.-J. Proudhon, un des hommes les plus sagaces de notre siècle, — qui n’a été traité d’anarchiste que grâce au plus incroyable des paradoxes, puisque dans ses écrits, précisément, il démontre la complète anarchie de ce qui s’appelle « l’ordre » actuel, et voit dans nos institutions « la législation du chaos », — Proudhon aussi entend par

  1. Cité par Wagner dans l’introduction au troisième volume de ses œuvres complètes.