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Lui aussi apercevait devant lui un idéal nouveau ; et de lui aussi on peut dire qu’il lui fallait fixer nettement les « lois de la perspective », avant que son génie pût s’y mouvoir librement. Et ce n’est pas en cela seulement que s’impose la comparaison entre ces deux grands artistes ; en effet, comme la pensée artistique de Léonard l’avait conduit successivement dans divers domaines, ceux de l’astronomie, de la géologie, de la philosophie, où la divination intuitive du vrai poète lui fit découvrir des vérités que la science devait mettre des siècles à constater, de même Wagner se vit appelé à creuser à des profondeurs toujours plus grandes ses méditations sur la nouvelle forme de drame qu’il voulait créer, et vit en même temps s’élargir toujours plus, autour de ce point fixe de sa pensée, les cercles concentriques qu’elle devait embrasser.

Schiller a dit que la beauté conduit l’homme à penser, et, avec toute la décision de son esprit fait de douceur et de hauteur consciente, il affirme que « l’homme vraiment doué du sens esthétique n’a qu’à vouloir, pour porter des jugements et pour accomplir des actes d’une valeur universelle ». Mais justement la volonté, nous l’avons vu dans la première partie de ce livre, est un des traits marquants du caractère de Wagner : cette volonté indomptable et dominatrice, au service d’une imagination puissante et féconde, ne pouvait se sentir à l’aise dans les étroites limites professionnelles. Tout grand homme est un héros ; en lui sommeille un conquérant du monde. À la nouvelle de la bataille d’Iéna, Beethoven s’écria : « Et tout de même, moi, je vaincrais Napoléon ! » Et Wagner, quand il entreprit de transformer l’art, et qu’il eut bientôt acquis la conviction « que l’art ne saurait se séparer de la vie, ni chercher arbitrairement son but en lui-même »,