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toyablement bien des choses qu’on louait de son temps et qui passent pour louables aujourd’hui encore ; et de plus, ce livre eût mis fin, une bonne fois, à la fable ridicule du génie incapable de réflexion, produisant sa musique avec l’inconsciente candeur d’un oiseau sur sa branche. Plus sage que Mozart, Gluck ne s’en tint pas au projet, mais prit plus d’une fois la plume pour expliquer au monde ses intentions, trop superficiellement comprises ou trop légèrement jugées, et pour protester « contre la prétention de prononcer un verdict précipité sur ses œuvres, à la suite de répétitions imparfaitement étudiées, mal conduites, et encore plus mal exécutées » pour se défendre contre ces « amateurs extravagants dont l’àme réside uniquement dans leurs oreilles, » etc. C’est ainsi que, de tout temps, les grands artistes ont été obligés d’imposer un silence momentané à l’appel de l’inspiration créatrice, pour vaincre quelque résistance ou pour dissiper quelque malentendu produit par l’inintelligence publique.

Il en est tout autrement quand l’obstacle est intérieur.

Lorsque Léonard de Vinci, laissant sur le chevalet ses toiles inachevées, voua tout son temps à l’étude de la géométrie et de l’anatomie, Isabelle d’Este, avec beaucoup des protecteurs et des admirateurs de l’artiste, ne manquèrent pas de s’écrier : « Un nouvel Apelle est perdu pour l’art ! » Léonard ne se laissa détourner par aucune objection ; sa haute imagination lui laissait entrevoir une œuvre d’art autre et plus parfaite que celles de ses contemporains. Mais pour qu’elle fût possible, cette œuvre nouvelle, il fallait que l’artiste se forgeât des instruments nouveaux ; voilà pourquoi il consacra des années à ses Planches d’anatomie, voilà pourquoi il étudia la mathématique et écrivit son