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Bayreuth de ce poète qui, après avoir salué en 1870 « l’aube divine », était forcé de reconnaître, au jour de Noël de 1879, que « tout espoir lui était devenu impossible ».

Le monde, d’habitude, prétend faire, des dernières années de Wagner, un exemple inouï de succès, de gloire et de bonheur. Extérieurement, le monde n’a pas tout à fait tort, ni même dans un sens plus profond, puisque Wagner n’a certainement pas vécu ni souffert en vain : mais on ne saurait vouloir l’affirmer de Wagner en tant qu’homme sans faire preuve d’une ignorance absolue de ce qu’il était réellement. Jamais homme n’a vécu, qui fît moins de cas de ce que nous entendons par ces mots de gloire et de succès. À plusieurs reprises, il s’écrie, irrité : « Le diable emporte leur gloire et leurs honneurs je ne veux ni ne désire être célèbre ! » Il gronde ses amis, qui lui annoncent de nouveaux «succès » : « Je ne m’inquiète pas de soi-disants succès ! » Je sais bien que ce mépris de la gloire, du succès, des honneurs, apparaît à plusieurs comme la quintessence d’un insupportable orgueil ; en tout cas, c’est un trait saillant du caractère de Wagner. Patriote exalté, plein d’un enthousiasme sans bornes pour son art, doué d’une force créatrice qui ne fut, dans tous les temps, l’apanage que des plus grands, se sentant né pour conduire les hommes et prédestiné à la victoire, Wagner était cependant aussi dépourvu d’orgueil que pas un grand homme. Pour lui-même, personnellement, il ne demandait qu’une chose : se savoir aimé. Lorsque, à l’occasion de son soixantième anniversaire on lui fit force ovations, qu’on termina par une représentation théâtrale « au bénéfice des musiciens besoigneux », Wagner déclara qu’il était « le plus besoigneux des musiciens, puisqu’il