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fidèle et courageuse, tous ceux qui l’ont connue le reconnaissent ; elle avait, comme disent les paysans, « autant d’esprit qu’il en faut pour vivre ». Mais elle appartenait à la classe innombrable des êtres « à deux dimensions » : d’une morale impeccable, d’un sens droit, elle ne possédait de profondeur ni dans le cœur, ni dans la tête. Il n’était certainement pas facile de trouver une femme qui eût la capacité intellectuelle nécessaire pour comprendre le but que Wagner s’était proposé ; mais cette foi passionnée, inébranlable, que la femme voue avec tant de prodigalité, souvent avec si peu de discernement, à celui qu’elle aime, à cette foi-là Wagner y avait, à coup sûr, tous les droits. Il avait, en effet, souvent rencontré dans sa vie des femmes faites pour la lui donner : « Mon art », écrit-il à Uhlig, « n’a pas à se plaindre des cœurs de femme, et cela vient de ce que, en dépit de la vulgarité universelle, il est difficile aux femmes de laisser leurs âmes s’ossifier au point où sont parvenus les hommes de notre monde bourgeois. Les femmes, vois-tu ? sont la musique de la vie : elles savent accepter et s’assimiler tout plus franchement et avec moins de réserves, pour l’embellir encore par leur sympathie. » Malheureusement, sa propre femme était une exception ; elle ne connaissait pas cet instinct génial du cœur qui est un des plus beaux ornements de son sexe. Lanam fecit, pourrait-on dire d’elle avec l’épitaphe antique ; mais cette ménagère sans reproche n’embellit pas la voie douloureuse, que gravissait son époux, par cette sympathie où le développement de l’âme peut suppléer à l’intelligence ; bien au contraire, loin de s’associer à ses aspirations, elle fut toujours la première à les contrecarrer. Dans les rapports si tendus de Wagner avec le monde, elle fut comme l’alliée domestique de ce