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ordinaire ; les jalousies ou les partis pris dépassent la mesure des convenances. Injurier les autres, c’était se glorifier soi-même.

Comme je ne faisais pas chorus avec ceux qui ne peuvent critiquer sans attaquer violemment, j’avoue que je passai pour un affreux « bon enfant », pour un « inoffensif ».

Que m’importait ? Je prenais le beau où je croyais le trouver, et je n’imitais pas les sectaires reniant ce qui s’écartait du dogme par eux admis.

Tel critique d’art imprimait, au bas d’un journal, trois ou quatre feuilletons sur un seul artiste, et ne croyait pas « le reste digne d’être nommé ».

Puis j’en vins à m’apercevoir de ceci, qu’il ne suffisait pas, dans un compte rendu, de soigner un ami ; qu’il fallait, en outre, sous peine de perdre à ses yeux le fruit de lignes admiratives, ne risquer aucun compliment à l’endroit de ses émules. On ne disait jamais assez de bien sur son œuvre ; on en disait toujours trop sur celle du voisin. L’exclusivisme était une loi de l’amitié, une loi rigoureuse, menant droit à l’injustice.

En vertu de la camaraderie, nul ne devait avoir du talent que nous et nos amis ; pour les autres, des épigrammes, des méchancetés, voire des injures : c’était forcé.