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Victor Hugo, et chez Victor Hugo que j’allais chez de Vigny, où l’on professait un romantisme moins coloré qu’à la place Royale.

Je me ménageais ainsi deux plaisirs différents, presque également recherchés.

Dans le salon du comte de Vigny, ancien mousquetaire rouge de Louis XVIII, se coudoyaient Gustave Planche, Sainte-Beuve, Hippolyte Étiennez, et Émile Péhant, auteur d’un recueil de Sonnets, qu’il appelait « poèmes-colibris ».

Péhant, pauvre à l’excès, se plaignait amèrement de son sort et disait à ses amis, dans un sonnet typique :


… Si vous voyez ma figure si hâve,

Ma lèvre si livide et mon regard si cave,

C’est que voilà deux jours que je n’ai pas mangé !

Fréquenter Émile Péhant, cela n’encourageait pas à cultiver la Muse, si l’on n’avait pas l’âme chevillée dans le corps ; mais, pour celui qui se sentait une forte vocation littéraire, cela faisait surmonter bien des peines, non comparables à celles du sonniste qui écrivait le Cimetière, poèmes restés inédits, à inspirations douloureuses.

Je le répète, dans le salon du comte de Vigny, le coloris manquait ; la lyre était peu sonore, et les hôtes ordinaires de l’endroit semblaient aller et venir au clair de lune. On y trouvait de la