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Ce magasin qui n’existe plus appartenait à ma sœur et à mon beau-frère.

Il a été un enfer pour moi. À peine entré dans cet enfer, je me mis à rédiger un journal de tous les tourments que j’y éprouvais.

Auner du calicot ! quel supplice, quand on a enfourché Pégase ! Vivre au milieu de commis prosaïques, toujours prêts à se moquer de mes sentimentales jérémiades ! En être réduit à se cacher derrière une pile de percalines pour faire des sonnets ou des élégies !

Ne pas rencontrer « d’âme qui vous comprenne », et mourir d’amour pour des demoiselles de magasin ne soupirant qu’après le dimanche, pour aller danser très cavalièrement, soit au Prado, soit à la Grande-Chaumière, soit à Mabille ! Rêver d’art, de succès, de gloire, et se voir molester, traiter de mousse par des courtauds de boutique !

Ah ! que de plaintes exprimées dans mon journal, que je ne puis relire aujourd’hui sans quelque émotion, tant il contient de phrases à la Werther et à la Chatterton !

Pour peu, j’aurais gémi comme un poitrinaire, à la manière de ces gaillards qui, la main sur leur cœur, affectaient d’attendre la mort avec résignation, mais se portaient à merveille.

Afin de savoir quand finirait le martyre, je