Page:Chair molle.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La patronne était devant elle et lui prenait les mains en une étreinte de commisération. Lucie, d’abord, ne saisit pas le sens de ces paroles, mais elle comprit qu’on s’intéressait à elle, et, un moment, elle considéra Mme Donard en souriant avec une douceur stupide. Puis, vaguement, elle eut une résonnance des mots prononcés et elle demanda, inquiète :

— Comment, nous quitter ?

— Mais oui, ma pauvre Nina ; tu le sais bien.

Elle se souvint : le règlement voulait que les femmes arrêtées à la visite, fussent conduites à l’hôpital, dans la journée. Aussitôt, cette idée d’hôpital la terrifia. Elle y voyait à la fois une prison, un lieu d’infamie et de torture, elle s’écria :

— Oh non ! Madame, vous ne me laisserez pas partir, n’est-ce pas ?

— Mais tu sais bien que je n’y puis rien, fit la Donard, étonnée de cette résistance.

— Oh ! gardez-moi chez vous ; vous me cacherez quelque part, où vous voudrez, mais pas l’hospice ; oh non ! pas l’hospice, je ne veux pas.

Elle éclata en sanglots. Sa terreur était au comble. Il lui semblait que si elle allait là-bas, tout serait fini ; elle mourrait seule, abandonnée à la merci des carabins, et, en un instant, toutes les accusations qu’elle avait entendu proférer contre les hôpitaux lui revinrent à la mémoire.