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Elle ressentait aussi une vindicative jouissance à verser en ses mains tout l’or de ses profits ; la chair en vente perpétuelle achetait de la chair à son tour ; elle, toujours possédée, possédait enfin. Et elle entendait jouir de cette possession dans toute sa plénitude. Léa ne devait jamais la quitter ; à un asservissement de toutes les minutes Lucie astreignait son amante, heureuse d’imiter les mâles qui la tenaient elle-même, sans un répit, à leur disposition. Et d’autant plus parfait était son bonheur, d’autant plus sûres ses représailles que Léa, avec la gracilité élégante de ses formes, avec sa chevelure bouclée, coupée court, son langage brutal et son habitude de jurer approchait davantage à la virilité.

Mais c’était une virilité gracieuse, exquise, originale, bien différente de l’autre. Ses brutalités, si spontanées qu’elles fussent, paraissaient toujours affectées ; sous les paroles les plus grossières perçait comme un affinement de la pensée, une subtile intention de parodie ; sous un geste brutal des souplesses se devinaient, et puis de ce corps toujours en mouvement, à peine vêtu de soieries volantes, sourdaient d’odorantes effluves qui soûlaient Lucie, l’affolaient de passion. Tantôt c’était les fines émanations de la verveine, de la violette, et la fille se plaisait à les humer sur la nuque rose de Léa, parmi les frisons bruns qui chatouillaient ses narines frémissantes ;