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des accidents qu’elle avait observés la hantait, lui inspirait à la fois épouvante et répugnance. Tout en redoutant ce mal terrible, elle l’attendait comme une conséquence inévitable de son métier. Les jours de visite, lorsque la gouvernante, venue de bonne heure frapper à sa porte, l’avait avertie de se tenir prête, elle s’apeurait, devenait très pâle. Elle découvrait avec précaution l’homme étendu à son côté, soigneuse de ne point l’éveiller, visitait le corps en une inspection minutieuse. Si, par hasard, elle apercevait sur ses membres un furoncle de mauvais aspect, Lucie Thirache interrompait par de brusques caresses, le sommeil du miché ; et, très inquiète, elle cherchait, jusqu’à ce qu’il fût parti, à amener, par d’habiles insinuations, l’aveu d’une maladie récente. La réponse toujours négative, la rassurait peu. Restée seule, elle se livrait sur elle aux mêmes examens, s’affolant à la vue d’une rougeur, d’une tache.

Sa terreur, chaque jour croissait, entretenue, avivée encore par les récits que lui faisaient les autres filles. Sur un ton navré, elles se communiquaient leurs craintes, exagéraient les descriptions du mal. Puis, tout à coup, quand Lucie, rendue curieuse, voulait les interroger afin de se mieux garantir, elles se moquaient d’elle en affichant une subite insouciance. Seule, une femme nouvellement enrôlée, Léa, une Pari-