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pourtant les hommes qui la menaient là, avec leurs sales passions ! Oh ! si jamais elle pouvait se venger d’eux ! Comme elle leur en voulait à ces salops-là ! Et toujours, l’image de la mort s’offrait à elle comme une promesse de délivrance, comme le terme désirable de ses malheurs et de son asservissement. Obsédée par cette pensée, elle la poursuivait dans toutes ses conséquences ; elle se représentait son enterrement, le catafalque élevé dans le couloir aux murs roses ; et, si elle décédait au 7, certainement la bière ne pourrait passer dans l’escalier, il faudrait la descendre au moyen de cordes. Cette idée surtout lui était pénible ; on la déposerait dans la fosse commune sans une inscription, sans une couronne. Soudain, Lucie Thirache se révoltait contre la hantise de cette songerie lugubre, elle s’écriait : « Ah que je suis bête ! » et elle courait à ses compagnes, les réveillant d’une claque, clamant dans un ricanement qui voulait étouffer un sanglot : « En avant la musique ! »

Et elle chantait.

Elle chantait des couplets d’opérette, des romances en vogue, des scies désopilantes. Laurence assise au piano tapotait l’accompagnement. Toutes psalmodiaient le refrain en chœur, et, dans la maison, un concert de sons aigus montait. Madame accourait, furieuse, menaçant de fermer l’instrument, si on continuait un pareil tapage.