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— C’est si beau les champs, dit Emilia.

— Madame, appuya Laurence, voulez-vous que nous y allions dans les champs, nous cueillerons des reines-marguerites, il y en a plein dans les fossés ; je les ai vues en venant.

— Allons-y, si vous y tenez, autorisa la patronne.

Elles s’en furent le long de la haie, jusqu’à la porte, en chantonnant. Seule Lucie était silencieuse, elle allait revoir les travailleurs : elle songea à sa condition ; à Léon qui, maintenant bien loin d’elle, l’avait sans doute oubliée. Elle s’abîma en une mélancolie, se rappelant le passé, ses joies de jeune amoureuse. Perdues toutes ces félicités ! Heureusement, que lui ne savait pas sa position, ne se la représentait pas, ainsi qu’elle était, salie par toutes les lèvres, avilie par tous les contacts ! Et le malheur, c’est qu’elle était sans courage pour sortir de cet état ; et puis elle n’était pas libre ; les dettes s’accumulaient, la Donard la tenait par là.

Déjà on était sorti du jardin, on longeait les champs sur la route. Un cri d’Emilia qui marchait au haut du talus fit retourner Lucie.

— Tiens, un nid de chrétiens !

Elle alla avec les autres à l’endroit que la fille indiquait. Les herbes étaient couchées sur un grand espace, foulées, mâchées, une épingle à cheveux s’accrochait à quelques brins de seigle