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les voyageurs étaient perçus comme des points immobiles. À gauche de la route, des plantes potagères régulièrement espacées laissaient voir la terre grise entre leurs alignements. Laurence les dénommait dans une joie :

— Ça c’est des choux, ça c’est des asperges ; celles qui ont des feuilles frisées c’est des carottes ; celles qui s’enroulent à de grands bâtons, c’est des haricots.

Lucie écoutait avec attention répondant :

— Ah ! vraiment. Et elle regardait bouche béante, une émotion dans les yeux. Quoi, c’était ça qu’elle mangeait, comme c’était différent sur la table !

Soudain toutes parlèrent à la fois, bâtirent des projets de retraite champêtre pour le jour où elles seraient au pair. Elles montraient un si grand désir d’abandonner la ville et leur condition que Madame vexée se récria :

— Ah ! c’est comme ça que vous me quitteriez ; c’est bon à savoir.

Elles protestèrent. Laurence embrassa la patronne.

Mais Lucie Thirache, penchée à la portière, ne se lassait pas de considérer la plaine où les labourés mettaient des taches brunes, les jachères des taches jaunes.

Elle suivait le va et vient des rouloirs aplanissant le terrain, les efforts mesurés des che-