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Lucie Thirache les méprisait :

— Si c’est permis ! En voilà une bêtise de vouloir être libre à ce prix-là.

— Oh ! et puis Monsieur, les protège trop, elles deviennent hardies, remarquait Reine.

— C’est parce qu’il est trop bon, répondit Nina.

Elle ressentait, à l’égard de Monsieur, une craintive admiration. Ce potentat faisait de rares apparitions parmi les femmes, quand éclatait une querelle trop violente pour que Madame pût l’apaiser seule, ou quand une bande de pochards menaçait dévaster l’établissement. En dehors de ces rares solennités, Monsieur ne se montrait pas. Il découpait à la mécanique de minces porte-pipes en bois, ne descendant de son atelier que s’il avait réussi particulièrement une pièce, pour la soumettre à tout son personnel, dans un triomphe.

Lucie lui trouvait l’air très distingué, l’estimait fort instruit. Si jamais elle se mariait, elle aurait voulu avoir un époux « dans son genre. »

— Et puis il travaille si bien, ajoutait-elle, émerveillée !

— La toilette, Mesdames !

C’était la gouvernante qui prévenait les filles de s’habiller pour la soirée.

— Déjà ?

Elles se levaient, ravies de cette distraction.