Page:Chair molle.djvu/5

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avaient pas commis la dixième partie de vos méfaits. En effet, cette pauvre vieille et toujours jeune langue française, si franche, si souple, si propre à s’adapter à toutes les complications de notre monde moderne, n’est-ce pas un crime de lui relever les jupes et l’endroit de la syntaxe ? Oser toucher à son pudendum, ô enfant dénaturé ! Laissez cet inceste à quelque vieux Parnassien aigri et très chevelu. Parce que vous seriez un fanatique de la concision, Don Quichotte à votre manière, vous vous escrimez contre les prépositions de : ce sont de piètres moulins à vent.

Non ! laissez-moi lâcher bien vite ce rôle de professeur de style et de conservateur de la langue, qui me ravit médiocrement et que je vous en veux de m’avoir imposé. D’autant plus que, si vous tenez à savoir le fond de mon cœur naturaliste, je vous avouerai que ces questions de forme rigoureuse, de correction parfaite, d’habillement irréprochable, je les tiens pour secondaires dans le mérite d’un livre. J’ai même la conviction qu’un illettré, s’il était quelqu’un, pourrait écrire un chef-d’œuvre en baragouin et en charabia ; certes, ainsi fagotté, le chef-d’œuvre d’abord rebuterait ; mais on finirait par s’accoutumer à sa facture rudimentaire, à ses gros sabots et à ses loques. Il en est des défectuosités d’un style comme des irrégularités d’un visage : choqué par elles à première vue, on s’y fait, l’habitude blase. Puis, dès que l’affection est née — pour la personne ou pour le livre, — on ne