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saient la bienséance et le reps des meubles. » Ce travail facile et machinal ne lassait pas Lucie. Il ne l’empêchait ni de causer, ni d’écouter les histoires contées. Elle s’intéressait à Emilia, déclarant que ce salon froid et peu éclairé lui rappelait le couvent où elle avait été instruite par charité et, certainement, si son oncle ne l’avait violée un jour de soûlerie, elle serait restée très austère et très pieuse.

Ce récit révoltait Lucie Thirache ; cet oncle lui apparaissait bien dégoûtant, et elle s’écriait avec une colère :

— Sont-ils cochons tout de même, ces hommes !

— Ça c’est rudement vrai, affirmait Laurence.

Il se narrait encore d’autres histoires. Mais l’accent anglais de Germaine ravissait surtout Nina. Elle s’amusait énormément à écouter sa camarade décrivant la misère de sa famille, les manies de son père, un clergyman qui avait eu quatorze filles. Puis, soudain, une tristesse envahissait Lucie : elle songeait que ses parents à elle n’étaient ni misérables, ni méchants et, dans une sévère accusation de soi, elle se jugeait une mauvaise enfant. Le souvenir lui venait de son père, de sa rage indignée quand il la chassa, lui reprochant l’avoir déshonoré. Un gros chagrin la prenait ; elle restait abîmée en des pensées terribles, se considérant comme un être abominable, digne de toutes les infortunes. Cependant,