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souvent des stries argentées de la grosse pluie ou mouchetée des tourbillons grisâtres de la neige à demi-fondue. Chacune apprêtait un ouvrage de crochet ; elle-même tirait de sa corbeille un tricot commencé et, tandis que les autres allumaient des cigarettes, Lucie Thirache, adossée au mur, travaillait activement. Les filles la regardaient faire en buvotant des absinthes, en se répétant : « Hein ! va-t-elle vite ! » avec une admiration sincère pour son agilité et son adresse.

D’abord Lucie avait tricoté pour elle, par économie, afin d’éviter l’achat de bas et de camisoles que la Donard vendait très cher. Mais, ses compagnes l’ayant priée de leur confectionner des hardes semblables, elle y consentit, dans une peur, si elle refusait, de fâcher, de se faire une ennemie. Madame réclama ; elle fit pour elle ce qu’elle avait fait pour les autres ; même, elle avait commencé un gilet pour Monsieur. En paiement, on lui prodiguait des éloges et des caresses. Elle était très flattée de ces prévenances. Pour contenter un besoin naturel d’être choyée, elle s’appliqua à conserver ces bonnes grâces en rendant mille services.

Elle tricotait toute l’après-midi, à demi-couchée sur le divan, ayant grand soin de retirer ses pieds de dessus l’étoffe quand elle entendait Madame trottiner dans le couloir ; la patronne ne tolérait pas ces poses « qui, disait-elle, bles-