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genterie cliquetante, des babillages bruyaient autour, sans interruption. Assise entre ses compagnes préférées, elle leur demandait des détails sur les événements de la nuit précédente, sur l’argent acquis la veille. Maintenant la question financière la préoccupait surtout. Elle en causait sans cesse, enviant beaucoup les plus riches. Car il semblait toujours à Lucie que cette situation n’était pas, pour elle, un état définitif. Il lui tardait pouvoir acquitter ses dettes, aller avec quelques économies tenter la chance d’un amour unique et rémunérateur. L’amour au lupanar lui paraissait seulement un moyen d’accroître son pécule ; comme elle n’éprouvait aucun plaisir à satisfaire les hommes, elle ne croyait pas se débaucher. Elle se comparait aux fillettes qui câlinent des parents très laids et très vieux pour en obtenir quelque cadeau : cela s’admettait ; pourquoi serait-elle plus coupable que ces enfants ? Enchantée par cette excuse, elle s’ingéniait à parfaire sa gentillesse, désireuse d’augmenter le nombre de ses clients.

Après le déjeuner, ces dames, restées longtemps à bavarder devant la table desservie, finissaient par se lever en s’étirant et, traînant après elles leurs longs peignoirs clairs, elles allaient s’installer dans le petit salon. C’était une salle basse, tapissée de sombre. Le jour, venant d’un lanterneau, donnait une clarté triste, barrée le plus