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levait, et c’étaient d’interminables ablutions à l’eau parfumée, une contemplation attentive de son corps nu devant les glaces. Elle se peignait soigneusement, puis, sa toilette terminée, s’occupait à ranger la chambre. Les meubles étaient remis en leurs places ; elle ramassait les épingles à cheveux, les boutons de culotte, les paquets de cigarettes vides et finissait par appeler Marianne pour lui rendre les flûtes à rincer.

Lucie faisait tout ce ménage avec joie, heureuse de ne pas sentir dans ses jupes les mains luxurieuses des hommes, de ne pas avoir de leur souffle dans les cheveux. Des habitudes de sa jeunesse laborieuse, elle avait conservé cet amour de l’ordre. Et, sans trop savoir pourquoi, fatiguée des buveries tapageuses, elle aimait se trouver seule un moment, libre d’agir à sa guise, sans être en spectacle à personne. Elle prolongeait longtemps cette occupation. Ensuite son cahier de linge l’absorbait en d’impatients calculs : très fière de ses économies, elle comptait que, cette semaine encore, elle pourrait augmenter son trousseau de deux taies d’oreillers ou d’une chemise à broderies.

Avec une secrète appréhension de reprendre la tâche quotidienne, elle se décidait à descendre pour le repas du matin. Mais chaque fois l’aspect de la table blanche l’animait d’une gaîté curieuse ; des porcelaines y luisaient parmi l’ar-