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caravanes. Lucie s’y intéressa peu. Elle se distrayait en regardant Laurence qui, de temps à autre, la fixait d’un œil mécontent. Cette femme était couchée entre les bras d’un officier ; un tout jeune homme lui grattait la plante des pieds, en faisant craquer ses ongles sur la soie des bas mauves. Reine contait gravement et excitait par son langage des spasmes d’hilarité. Deux lieutenants d’artillerie, qui l’écoutaient, rajustaient leurs monocles, après chaque quinte de rire, et la fille, par instants, se fâchait :

— Non, si vous se moquez de moi, comme ça, je ne dis plus rien.

Mais bientôt elle reprenait ses récits et son air grave.

— Je savais bien que tu n’aurais pas voulu dire que j’étais un chameau, conclut Lucie, en embrassant Eugène, lorsqu’il eut terminé son explication. Non, vois-tu, il ne faut pas que tu m’insultes : des autres, ça me serait égal ; mais de toi, ça me ferait trop de peine.

— Pas possible ? répondit Eugène ironiquement.

— Oui, je t’assure : quand je t’ai vu, ça m’a fait un effet. Oh ! je sais bien, tu ne me croiras pas… n’est-ce pas ? une femme de maison, ça ne peut pas aimer !

— Mais si, celles-là comme les autres, mais pas si rapidement que ça. Avoue que tu veux me la faire, voyons.