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Et ses yeux s’étant rencontrés à la lithographie du ballet, elle revit encore le bal, mais un autre celui-là ; ignoble, presque lugubre. Elle y allait, lorsque son père ayant appris son inconduite, l’eut chassée de chez lui. Abandonnée de ceux qui l’avaient perdue et rendue inhabile au travail par un éreintement morbide, elle recherchait pour s’entretenir les amours de hasard. En un bastringue, dont les murs badigeonnés gardaient la trace brune des doigts sales, parmi les filles en cheveux, aux mains rouges, les sous-officiers à la dégaine de souteneurs, elle tournoyait, collée à de jeunes riches en goguette, pour obtenir le paiement de sa chambre, de son manger et de ses toilettes.

Cette existence était vraiment trop pénible et non moins déshonorante que celle du lupanar. Au moins, elle gagnait un abri et son pain assuré.

Du pain pour sa chair ! Elle allait se vendre à qui voudrait d’elle, sans distinction. Désormais ce sera à des amours d’une minute, à des aspirations bestiales qu’elle devra satisfaire. Il faudra singer les caresses tendres prodiguées autrefois à l’homme aimé, ressusciter par le mensonge une passion éteinte.

Lucie Thirache se complaisait à imaginer toutes les vilenies qu’elle allait endurer. Elle s’injuriait elle-même, et des larmes brûlantes