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aux angles des maisons. Et le roulement monotone des voitures attrista encore Lucie honteuse de pleurer dans la rue. Espérant aussi que le spectacle des dégâts apitoierait davantage son compagnon, elle l’invita à visiter l’appartement.

En entrant, la dévastation de la pièce navra. L’armoire à glace renversée gisait à terre, la corniche au plancher. Partout des paillettes de verre doublé de tain scintillaient. La cuvette était sur le tapis en morceaux ; l’eau s’était épandue du pot brisé, noircissant les rosaces. Au milieu de la pièce s’étalait, arrachée de son cadre, lacérée, une gentille lithographie : deux amoureux s’embrassant sur une escarpolette.

Zéphyr allait d’un meuble à l’autre. Du plat de la main, à grands coups, il rajustait les montures des chaises. Il releva l’armoire et ramassa les débris de la glace.

Cependant, Lucie s’était vautrée sur le canapé, la face tournée au mur, sans souci du désordre de sa toilette, car le peignoir dégraffé opprimait moins sa poitrine soulevée par le halètement des sanglots. Elle était prise d’une rage furieuse contre ces inconnus exempts maintenant de sa juste vengeance. Elle se comprit victime à jamais de la funeste influence des hommes. Dans une inconsciente sollicitation, elle avait pris les mains de Zéphyr et les serrait. Lui répétait sans cesse : « Quelles canailles ! Quelles canailles ! »