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pareille grue. » Cette allusion rappela l’aventure de la nuit, et la douleur de la fille, un instant distraite, la ressaisit. Ils étaient arrivés au coin de la rue du Bois-Saint-Étienne. Zéphyr prodiguait des paroles consolantes, semblait très content d’être initié aux petites affaires de Lucie. Elle, toujours pleurante, énumérait les dégâts, s’attardait à une foule de détails, heureuse de la pitié qu’elle inspirait. Instinctivement elle regardait la clef, comme pour une prière.

— Moi non plus, allez, je n’ai jamais eu de chance, conclut Zéphyr.

Il raconta longuement son renvoi de l’épicerie où il avait été victime d’ignobles jalousies.

Lucie fut intéressée par l’histoire. Elle compatit et demanda d’exactes explications. Mais, soudain, la vue de sa fenêtre ressuscita ses récriminations. Et, tandis que l’homme se complaisait à décrire sa misère, tandis qu’il narrait les intrigues de sa patronne, de ses camarades, s’entraînait à les insulter, leur jurant des vengeances, la fille de nouveau sanglotait, à peine attentive. Elle en vint à trouver ennuyeuses les doléances du garçon : cette épopée d’un autre malheur, graduellement l’importunait. Elle n’écouta plus, agacée.

Le temps était couvert. Des nuages gris se mouvaient lentement ; l’atmosphère lourde, chargée de pluie, accrochait une brume laiteuse