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ressait : des deux côtés, près la porte, des caisses renversées s’allongeaient, couvertes d’oranges, de fruits secs, de pruneaux et, sous une vitrine, se tassaient les vermicelles, les macaronis avec dessus, les prix en chiffres énormes. Lucie contemplait ces mangeailles sans perdre de vue les messieurs encombrant le trottoir ; une grande envie lui venait de se repaître.

Devant le magasin un garçon en longue blouse écrue courait complaisamment d’un client à l’autre, en faisant l’éloge des denrées. Lorsque Lucie se décidait à l’achat de mendiants, toujours ses yeux se rencontraient aux yeux bêtes du vendeur obséquieux et souriant. Peu à peu elle s’habitua à trouver au milieu des comestibles cette face polie et rosée, aux lèvres entr’ouvertes, au front bas calotté de boucles blondes que séparait une raie droite. Bientôt même elle crut voir à son empressement que cet homme lui voulait devenir familier. Sa fierté de femme chère, une vanité longuement acquise dans les heures de solitude la rendaient aussitôt fâchée contre cet audacieux. Elle se garda cependant de fréquenter une autre épicerie ; ce manège l’amusait.

Mais, de ce jour, elle s’efforça à bafouer cet adorateur en prenant, dès qu’elle l’apercevait, un air dédaigneux. Ce fut contre le malheureux une taquinerie constante, presque une vengeance.