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robes, la forme haute d’un chapeau. Mais cette rue, roulant un flot d’ouvriers et de filles, était vide le plus souvent de michés raccrochables.

Rapidement, Lucie gagnait le théâtre et, pour franchir la place, elle aimait retrousser très haut ses jupes, faire admirer leurs dessous propres. Elle abordait au café Jean, portant au bras un rouleau de musique, elle s’avançait à petits pas, avec des arrêts brefs devant les boutiques, ou elle bousculait à dessein les hommes pour soupirer aussitôt de captivantes excuses. Dédaigneusement, elle toisait les femmes, pleine d’un mépris vertueux contre ses collègues de joie, ayant pour la tenue sobre des dames mariées, une respectueuse compassion. Elle arrivait ainsi à sa première halte, un grand magasin d’orfèvrerie très éclairé.

Quoique les objets de la montre lui fussent connus dans leurs moindres ciselures, elle s’arrêtait, par contenance en se rappelant les hommes coudoyés et leurs mines engageantes ou fâchées. Par instants, elle détournait la tête et scrutait la rue. Cependant, reprise quelquefois d’une curiosité, elle restait perdue en une longue observation de l’étalage, oublieuse de son labeur, jusqu’à ce que le contact d’un pardessus masculin ou le frôlement d’une canne l’eut fait retourner.

D’une marche traînante, elle s’approchait à la gare. Là des trains, versaient continuellement