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suite. Et, au-delà du vitrage, dans les salles, ce devait être plus magnifique encore. Elle aurait bien voulu voir, mais la grille empêchait d’entrer. Son désespoir reprit la fille ; elle se vit captive derrière cet infranchissable obstacle, enchaînée pour le plaisir des autres.

Le vitrage fut poussé. Une femme parut, toute vêtue de soie noire, l’air très digne, les doigts pleins de bagues. Un aspect intimidant de dame « bien » :

— Bonjour, mon enfant, soyez la bienvenue ; entrez donc !

La fille murmura une salutation. Troublée, elle fouillait dans les plis de sa jupe et cherchait son porte-monnaie ; mais la patronne l’arrêta :

— Laissez, laissez, ma chère ; maintenant que vous êtes de la maison, tous ces petits détails me regardent.

À tant d’affabilité, Lucie Thirache ne répondit pas. Elle prit un air revêche : ce n’était pas avec de l’hypocrisie qu’on l’enjôlerait.

Derrière Madame, elle monta, avec d’impatientes glissades sur le rebord des marches garnies de cuivre. En haut de l’escalier, s’affilait un couloir sombre des teintes d’acajou colorant les boiseries. Lucie dut marcher à tâtons, jusqu’au moment où Madame, ayant ouvert une porte, un flot de rayons lumineux s’échappa.