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s’allongeaient des coups de badine sur les jambes. À tous, Lucie désœuvrée trouvait un air bête. Elle regardait la salle, passait en revue les murs, les becs de gaz, les tables. Elle héla le garçon, se fit apporter une absinthe, puis, ce furent des soins infinis à confectionner le breuvage : elle leva très haut la carafe, prenant intérêt à voir s’opaliser l’émeraude de la liqueur. Elle chanta à son tour avec une nonchalance, simulant des efforts pour se mettre debout. Puis, elle sortit avide d’air, agacée.

Dans le café, près l’estrade, elle aperçut, en rentrant, un jeune homme installé. C’était un des habitués les plus bruyants de la bande riche.

Dans un grand besoin de conversation, Lucie courut à lui :

— Tiens ! vous n’êtes pas au bal, vous, on m’a dit que tous vos camarades y étaient partis.

— Oh non, j’ai pas pu y aller. Je me suis fait une foulure.

Levant la jambe, il montra son pied emmaillotté.

— Tiens ! où est-ce que vous avez attrapé ça ?

— C’est en sautant par-dessus des rosiers dans le jardin de ma cousine. Il y a un parterre qui en est plein. Alors j’ai voulu sauter. Puis je ne sais pas comment que ça c’est fait ; probablement que je suis mal tombé.

— En v’là une idée aussi, de sauter par-dessus des rosiers !