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mir ; la capote brune où s’enveloppe une sentinelle passe, repasse, d’un pas régulier et lent.

Lucie regardait cette grille par où son amant, tout à l’heure, était entré. Elle songeait : Charles allait partir à Dunkerque, pour les manœuvres. Elle resterait seule tout un mois. Comme elle s’ennuierait ! Plus de bal, plus d’amusement ! Finies les caresses, les heures passées au lit, si folles en des étreintes. Avec Charles toutes les joies allaient s’enfuir.

Au loin, le beffroi lance les premières notes de son carillon, des notes hésitantes et lourdes.

Déjà cinq heures, pense la fille ; ils vont partir bientôt.

Dans la caserne, il y eut comme un réveil. Le sergent s’était dressé ; il avait ouvert la grille. Et Lucie se penchant crut reconnaître son Charles parmi des officiers rangés en cercle dans la cour. Oh oui, c’était bien lui, le troisième, à gauche, tournant le dos, celui à la plus belle prestance. Elle le vit échanger des papiers avec un gros à jambes courtes, puis entrer bien vite dans le bâtiment. Cependant une rumeur vague s’élevait, comme un bruit de mouvements hâtifs. Des fenêtres s’ouvrant encadraient les têtes ensommeillées de soldats, qui serraient leurs gorges en des cravates bleues. Et de nouveau les clameurs s’apaisèrent ; la cour redevint déserte. Il se fit un silence.