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et, sûre de n’être point vue, elle s’abandonnait, signalant à Dosia les mines rouges et ahuries des bourgeoises. Puis, elle reprenait un air grave, redevenait sérieuse et digne. Aux entr’actes, elle allait attendre son amant dans l’arrière-boutique du pâtissier tout près le théâtre. Dans la petite pièce soigneusement close, elle s’égayait, riait très haut, se grisait de champagne, semblait vouloir racheter la contrainte qu’elle s’était imposée. D’autres fois, Charles la menait, après le concert, dans les bals champêtres. La foule lui trouvait une morgue invariable. Elle refusait se mêler aux danses, s’épanchait seulement tout bas en moqueries souriantes, sur l’air gêné des jeunes gens et de leurs grisettes. Mais, lorsque l’orchestre avait achevé le quadrille des lanciers, une grande partie du public quittait le bal et Lucie restée seule avec les officiers et quelques jeunes riches, conduisait alors une joyeuse sarabande. Toutes ses drôleries d’autrefois la reprenaient. Elle feignait une griserie, et cette griserie, bientôt, s’emparait d’elle toute. Ses yeux s’allumaient, une chaleur lui montait aux seins, avec des chatouillements. Soudain, elle était obligée à cesser ses gambades ; elle s’asseyait en croisant les jambes, en se penchant pour échauffer le froid insupportable qu’elle sentait au ventre. Un malaise général lui donnait le besoin de remuer sans cesse. Et, quand enfin les musiciens par-