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Sans cesse son bras s’étendait dans un baiser languissant. Une émotion profonde avait pris l’auditoire. Des femmes, presque pleurantes, gifflaient vigoureusement leurs bébés, pour faire cesser un bruit de pantins frappés sur la table et qui empêchait d’entendre. Le gros homme soufflait très empoigné, s’abritait toujours derrière l’immense chapeau de son enfant.

Mais Dosia et Lucie s’attentionnaient à un groupe de paysans blondasses emblousés court. Ils regardaient l’Alcazar et les chanteuses dans un ébahissement admirateur ; ils salivaient par minces jets entre les bouffées de leurs pipes, puis essuyaient leurs lèvres d’un revers de main. L’un d’eux surtout hilarait les filles : un grand au nez aplati dans la face joufflue, aux cheveux jaunes, noircis par plaques, sous la pommade

— Oh ! mais regarde, Nina, son papa s’est assis sur sa frimousse quand il est sorti du chou, celui-là.

— Ben vrai, quelle tête !

L’homme se voyant observé, rougissait, buvait coup sur coup pour reprendre un aplomb. Ses camarades le plaisantaient, patoisant des syllabes gutturales.

— Oh ! ch’est ti qu’elle ravise comme nô.

— Non, ch’est pas mi, ch’est ti.

— À ch’t’heure, ch’est mi ? Hé t’es sot, ch’est