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des colères, se figurait que la plaie dans un progrès constant, allait la percer toute, la faire un amas de chairs pourries où cette purée grise si répugnante fermenterait. Parfois une horreur la prenait de cette vue puante ; brusquement elle ramenait les draps au menton et fermait les yeux. Elle gémissait.

La sœur accourait :

— O ma mère, j’ai bien mal. N’est-ce pas que ça a encore grossi cette nuit ?

— Mais non, mon enfant ; pourquoi vous faites-vous de la peine comme ça ? Restez tranquille, voyons ; calmez-vous.

Avec un linge imbibé de teinture brune, la religieuse mouillait doucement Lucie, apaisant le mal.

La fille était heureuse de ces soins. Patiente et soumise, elle avait intéressé le docteur, toutes les gardiennes. On la dorlotait plus qu’une autre, comme une grande enfant. Et, dans les heures où l’obsédante pensée de sa maladie la quittait, elle se sentait à l’aise, dans ces draps blancs, entourée de ces personnes silencieuses et propres qui l’aimaient, et certes la guériraient. Elle goûtait un repos charmant après la vie bruyante vécue au 7. Puis elle avait une vénération pour la sœur que ses plaies ne dégoûtaient pas et qui la pansait toute souriante. Pour lui plaire, elle lisait le soir, une prière très longue, où elle