Page:Chézy - Analyse du Mégha-Doûtah, poème sanskrit de Kâlidâsa.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 15 )

une nuée de mouches brillantes sillonnent les ténèbres dans leur vol incertain[1].

Là, sur sa couche solitaire, languit la plus belle des femmes, l’ouvrage le plus accompli du créateur ; tu la reconnoîtras aisément à l’élégance de ses formes, à la délicatesse de ses traits. La perle la plus pure a moins d’éclat que l’émail de ses dents ; l’incarnat de ses lèvres efface celui du Bimba[2] nouvellement coloré par les feux du soleil ; et son regard timide est plus doux que celui de la jeune gazelle.

  1. On peut aisément se figurer l’effet enchanteur que doit produire, par une nuit d’automne, cette foule de mouches luisantes, en se croisant de mille et mille manières dans leur vol au milieu des ténèbres. Nos vers luisans, presque immobiles, et rampant seulement dans l’herbe, ne nous en donnent qu’une bien foible idée. La poésie, qui ne laisse rien échapper de tout ce que la nature lui présente, soit de terrible, soit de gracieux, pour en enrichir son vaste domaine, n’a pas manqué de s’emparer de cette image, et les poètes indiens font de fréquentes allusions à ce phénomène. Une des plus heureuses que j’en aie jamais rencontrées, se trouve dans le VIe livre du Râmâyana [le livre des Combats], où Vâlmîki, décrivant une horrible mêlée, compare à ces mouches luisantes les flèches lancées de part et d’autre, et dont les ailes d’or étincellent, par intervalles, à travers une nuée de poussière excitée par le mouvement rapide des chars et le trépignement des chevaux.
  2. Le Bimba [Bryonia grandis] porte un fruit rouge auquel les lèvres sont ordinairement comparées.