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Son cœur dicte ; il écrit. À ce maître divin
Il ne fait qu’obéir et que prêter sa main.
S’il est aimé, content, si rien ne le tourmente.
Si la folâtre joie et la jeunesse ardente
Étalent sur son teint l’éclat de leurs couleurs,
Ses vers, frais et vermeils, pétris d’ambre et de fleurs,
Brillants de la santé qui luit sur son visage,
Trouvent doux d’être au monde et que vieillir est sage.
Si, pauvre et généreux, son cœur vient de souffrir
Aux cris d’un indigent qu’il n’a pu secourir ;
Si la beauté qu’il aime, inconstante et légère.
L’oublie en écoutant une amour étrangère ;
De sables douloureux si ses flancs sont brûlés.
Ses tristes vers en deuil, d’un long crêpe voilés,
Ne voyant que des maux sur la terre où nous sommes.
Jugent qu’un prompt trépas est le seul bien des hommes.
Toujours vrai, son discours souvent se contredit.
Comme il veut, il s’exprime ; il blâme, il applaudit.
Vainement la pensée est rapide et volage :
Quand elle est prête à fuir, il l’arrête au passage.
Ainsi, dans ses écrits partout se traduisant,
Il fixe le passé pour lui toujours présent.
Et sait, de se connaître ayant la sage envie.
Refeuilleter sans cesse et son âme et sa vie.

VIII


Reste, reste avec nous, ô père des bons vins !
Dieu propice, ô Bacchus ! toi dont les flots divins
Versent le doux oubli de ces maux qu’on adore ;
Toi, devant qui l’amour s’enfuit et s’évapore.
Comme de ce cristal aux mobiles éclairs
Tes esprits odorants s’exhalent dans les airs.

Eh bien ! mes pas ont-ils refusé de vous suivre ?
« Nous venons, disiez-vous, te conseiller de vivre.
Au lieu d’aller gémir, mendier des dédains.
Suis-nous, si tu le peux. La joie à nos festins