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Mânes aux yeux charmants, vos images chéries
Accourent occuper ses belles rêveries ;
Ses yeux laissent tomber une larme. Avec vous
Il est dans vos foyers, il voit vos traits si doux.
À vos persécuteurs il reproche leur crime.
Il aime qui vous aime, il hait qui vous opprime.
Mais tout à coup il pense, ô mortels déplaisirs !
Que ces touchants objets de pleurs et de soupirs
Ne sont peut-être, hélas ! que d’aimables chimères,
De l’âme et du génie enfants imaginaires.
Il se lève, il s’agite à pas tumultueux ;
En projets enchanteurs il égare ses vœux.
Il ira, le cœur plein d’une image divine,
Chercher si quelques lieux ont une Clémentine,
Et dans quelque désert, loin des regards jaloux,
La servir, l’adorer et vivre à ses genoux.


VI


Ô jours de mon printemps, jours couronnés de rose,
À votre fuite en vain un long regret s’oppose.
Beaux jours, quoique souvent obscurcis de mes pleurs,
Vous dont j’ai su jouir même au sein des douleurs.
Sur ma tête bientôt vos fleurs seront fanées.
Hélas ! bientôt le flux des rapides années
Vous aura loin de moi fait voler sans retour.
Oh ! si du moins alors je pouvais à mon tour,
Champêtre possesseur, dans mon humble chaumière
Offrir à mes amis une ombre hospitalière ;
Voir mes lares charmés, pour les bien recevoir,
À de joyeux banquets la nuit les faire asseoir ;
Et là nous souvenir, au milieu de nos fêtes.
Combien chez eux longtemps, dans leurs belles retraites,
Soit sur ces bords heureux, opulents avec choix,
Où Montigny s’enfonce en ses antiques bois,
Soit où la Marne lente, en un long cercle d’îles,
Ombrage de bosquets l’herbe et les prés fertiles,
J’ai su, pauvre et content, savourer à longs traits