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Viens dire à leurs concerts la beauté qui te brûle.
Amoureux, avec l’âme et la voix de Tibulle
Fuirais-tu les hameaux, ce séjour enchanté
Qui rend plus séduisant l’éclat de la beauté ?

L’amour aime les champs, et les champs l’ont vu naître.
La fille d’un pasteur, une vierge champêtre,
Dans le fond d’une rose, un matin du printemps,
Le trouva nouveau-né..........
Le sommeil entr’ouvrait ses lèvres colorées.
Elle saisit le bout de ses ailes dorées,
L’ôta de son berceau d’une timide main.
Tout trempé de rosée, et le mit dans son sein.
Tout, mais surtout les champs sont restés son empire.
Là tout aime, tout plaît, tout jouit, tout soupire ;
Là de plus beaux soleils dorent l’azur des cieux ;
Là les prés, les gazons, les bois harmonieux,
De mobiles ruisseaux la colline animée,
L’âme de mille fleurs dans les zéphyrs semée ;
Là parmi les oiseaux l’amour vient se poser ;
Là sous les antres frais habite le baiser.
Les muses et l’amour ont les mêmes retraites.
L’astre qui fait aimer est l’astre des poètes.
Bois, écho, frais zéphyrs, dieux champêtres et doux,
Le génie et les vers se plaisent parmi vous.
J’ai choisi parmi vous ma muse jeune et chère ;
Et, bien qu’entre ses sœurs elle soit la dernière,
Elle plaît. Mes amis, vos yeux en sont témoins.
Et puis une plus belle eût voulu plus de soins ;
Délicate et craintive, un rien la décourage,
Un rien sait l’animer. Curieuse et volage,
Elle va parcourant tous les objets flatteurs
Sans se fixer jamais, non plus que sur les fleurs
Les zéphyrs vagabonds, doux rivaux des abeilles,
Ou le baiser ravi sur des lèvres vermeilles.
Une source brillante, un buisson qui fleurit,
Tout amuse ses yeux ; elle pleure, elle rit.
Tantôt à pas rêveurs, mélancolique et lente,
Elle erre avec une onde et pure et languissante ;
Tantôt elle va, vient, d’un pas léger et sûr