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XXXI


Fille du vieux pasteur, qui d’une main agile
Le soir emplis de lait trente vases d’argile.
Crains la génisse pourpre, au farouche regard,
Qui marche toujours seule et qui paît à l’écart.
Libre, elle lutte et fuit, intraitable et rebelle.
Tu ne presseras point sa féconde mamelle,
À moins qu’avec adresse un de ses pieds lié
Sous un cuir souple et lent ne demeure plié.

xxxxxxx(Vu et fait à Catillon, près Forges, le 4 août 1792, et écrit à Gournay le lendemain.)



XXXII


Toujours ce souvenir m’attendrit et me touche,
Quand lui-même, appliquant la flûte sur ma bouche,
Riant et m’asseyant sur lui, près de son cœur,
M’appelant son rival et déjà son vainqueur.
Il façonnait ma lèvre inhabile et peu sûre
À souffler une haleine harmonieuse et pure ;
Et ses savantes mains prenaient mes jeunes doigts.
Les levaient, les baissaient, recommençaient vingt fois,
Leur enseignant ainsi, quoique faibles encore,
À fermer tour à tour les trous du buis sonore.



XXXIII

MNAÏS


« Bergers, vous dont ici la chèvre vagabonde,
La brebis se traînant sous sa laine féconde,
Au dos de la colline accompagnent les pas,
À la jeune Mnaïs rendez, rendez, hélas !
Par Cérès, par sa fille et la Terre sacrée.
Une grâce légère, autant que désirée.
Ah ! près de vous, jadis, elle avait son berceau,
Et sa vingtième année a trouvé le tombeau.