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Je veux, pour te montrer une flotte nombreuse,
Lancer sur notre étang des écorces d’yeuse.
Le chien de la maison est si doux ! chaque soir,
Mollement sur son dos je veux te faire asseoir ;
Et, marchant devant toi jusques à notre asile,
Je guiderai les pas de ce coursier docile. »


Il s’en va bien baisé, bien caressé… Les jeunes beautés le suivent de loin. Arrivées aux rosiers, elles regardent par-dessus le berceau sous lequel elles les voient occupés à former avec des buissons de myrte et de roses un temple de verdure autour d’un petit autel, pour leur statue de Vénus ; elles rient. Ils lèvent la tête, les voient et leur disent de s’en aller. On les embrasse… En s’en allant, la jeune Myro dit :… Ô heureux âge !… Mes compagnes, venez voir aussi chez moi les monuments de notre enfance… j’ai entouré d’une haie, pour le conserver, le jardin que j’avais alors… Une chèvre l’aurait brouté tout entier en une heure… C’est là que je vivais avec… ; il m’appelait déjà sa femme et je l’appelais mon époux… Nous n’étions pas plus hauts que telle plante… Nous nous serions perdus dans une forêt de thym… Vous y verrez encore les romarins s’élever en berceau comme des cyprès autour du tombeau de marbre où sont écrits les vers d’Anyté… Mon bien-aimé m’avait donné une cigale et une sauterelle. Elles moururent, je leur élevai ce tombeau parmi le romarin. J’étais en pleurs… La belle Anyté passa, sa lyre à la main…

Qu’as-tu ? me demanda-t-elle.

Ma cigale et ma sauterelle sont mortes…

— Ah ! me dit-elle, nous devons tous mourir (cinq ou six vers de morale)

Puis elle écrivit sur la pierre :


« Ô sauterelle, à toi, rossignol des fougères,
À toi, verte cigale, amante des bruyères,
Myro de cette tombe élève les honneurs.
Et sa joue enfantine est humide de pleurs ;
Car l’avare Achéron, les Sœurs impitoyables
Ont ravi de ses jeux ces compagnes aimables. »