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— Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils.
Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
Me ronge ; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.
Je ne parlerai pas. Adieu ; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ;
Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs !

— Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage ;
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,
Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos ;
Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes,
Une Thessalienne a composé des charmes.
Ton corps débile a vu trois retours du soleil
Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil.
Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ;
C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère
Qui pleure, qui jadis te guidait pas à pas,
T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras,
Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire,
Qui chantait, et souvent te forçait à sourire
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs.
Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée,
Par qui cette mamelle était jadis pressée ;
Que ce suc te nourrisse et vienne à ton secours,
Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours !

— Ô coteaux d’Érymanthe ! ô vallons ! ô bocage !
Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage,
Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leur robe de lin !
De légères beautés troupe agile et dansante…
Tu sais, tu sais, ma mère ? aux bords de l’Érymanthe…
Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons…
Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons !
Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure,