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Lycus descend, accourt, tend la main, le relève :
« Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux
Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux !
Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ;
Mais cesse avec ta main de cacher ton visage.
Souvent marchent ensemble indigence et vertu,
Souvent d’un vil manteau le sage revêtu,
Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique.
Couvert de chauds tissus, à l’ombre du portique,
Sur de molles toisons, en un calme sommeil,
Tu peux ici, dans l’ombre, attendre le soleil.
Je te ferai revoir tes foyers, ta patrie,
Tes parents, si les dieux ont épargné leur vie.
Car tout mortel errant nourrit un long amour
D’aller revoir le sol qui lui donna le jour.
Mon hôte, tu franchis le seuil de ma famille
À l’heure qui jadis a vu naître ma fille.
Salut ! Vois, l’on t’apporte et la table et le pain :
Sieds-toi. Tu vas d’abord rassasier ta faim.
Puis, si nulle raison ne te force au mystère,
Tu nous diras ton nom, ta patrie et ton père ! »

Il retourne à sa place après que l’indigent
S’est assis. Sur ses mains, d’une aiguière d’argent,
Par une jeune esclave une eau pure est versée.
Une table de cèdre, où l’éponge est passée,
S’approche, et vient offrir à son avide main
Et les fumantes chairs sur le disque d’airain,
Et l’amphore vineuse, et la coupe aux deux anses.
« Mange et bois, dit Lycus ; oublions les souffrances,
Ami ! leur lendemain est, dit-on, un beau jour. »
....................
Bientôt Lycus se lève et fait emplir sa coupe,
Et veut que l’échanson verse à toute la troupe :
« Pour boire à Jupiter, qui nous daigne envoyer
L’étranger devenu l’hôte de mon foyer. »
Le vin de main en main va coulant à la ronde ;
Lycus lui-même emplit une coupe profonde,
L’envoie à l’étranger : « Salut, mon hôte, bois.