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Échappée aux réseaux de l’oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s’élance.

« Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m’endors,
Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.
Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;
Sur des fronts abattus mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

« Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J’ai passé les premiers à peine.
Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

« Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
Je n’ai vu luire encor que les feux du matin :
Je veux achever ma journée.

« O mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Paies encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts ;
Je ne veux point mourir encore ! »

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S’éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix.
Ces vœux d’une jeune captive ;
Et secouant le faix de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliai les accents
De sa bouche aimable et naïve.