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ODES


I

À VERSAILLES


Ô Versaille, ô bois, ô portiques,
Marbres vivants, berceaux antiques,
Par les dieux et les rois Elysée embelli,
À ton aspect, dans ma pensée,
Comme sur l’herbe aride une fraîche rosée, s
Coule un peu de calme et d’oubli,

Paris me semble un autre empire,
Dès que chez toi je vois sourire
Mes pénates secrets couronnés de rameaux,
D’où souvent les monts et les plaines
Vont dirigeant mes pas aux campagnes prochaines.
Sous de triples cintres d’ormeaux.

Les chars, les royales merveilles.
Des gardes les nocturnes veilles,
Tout a fui ; des grandeurs tu n’es plus le séjour :
Mais le sommeil, la solitude,
Dieux jadis inconnus, et les arts, et l’étude.
Composent aujourd’hui ta cour.

Ah ! malheureux ! à ma jeunesse
Une oisive et morne paresse
Ne laisse plus goûter les studieux loisirs.
Mon âme, d’ennui consumée.
S’endort dans les langueurs. Louange et renommée
N’inquiètent plus mes désirs.

L’abandon, l’obscurité, l’ombre,
Une paix taciturne et sombre.
Voilà tous mes souhaits : cache mes tristes jours,