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II


......... Terre, terre chérie
Que la liberté sainte appelle sa patrie ;
Père du grand sénat, ô sénat de Romans,
Qui de la liberté jetas les fondements ;
Romans, berceau des lois, vous, Grenoble et Valence,
Vienne ; toutes enfin ! monts sacrés d’où la France
Vit naître le soleil avec la liberté !
Un jour le voyageur par le Rhône emporté,
Arrêtant l’aviron dans la main de son guide.
En silence, debout sur sa barque rapide,
Fixant vers l’Orient un œil religieux.
Contemplera longtemps ces sommets glorieux ;
Car son vieux père, ému de transports magnanimes.
Lui dira : « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes. »
Du bord du Rhône, le 7 juillet 1790.



III

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS


Un jour le rat des champs, ami du rat de ville.
Invita son ami dans son rustique asile.
Il était économe et soigneux de son bien ;
Mais l’hospitalité, leur antique lien,
Fit les frais de ce jour comme d’un jour de fête.
Tout fut prêt : lard, raisin, et fromage, et noisette.
Il cherchait par le luxe et la variété
À vaincre les dégoûts d’un hôte rebuté.
Qui, parcourant de l’œil sa table officieuse.
Jetait sur tout à peine une dent dédaigneuse.
Et lui, d’orge et de blé faisant tout son repas,
Laissait au citadin les mets plus délicats.

« Ami, dit celui-ci, veux-tu dans la misère
Vivre au dos escarpé de ce mont solitaire,