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De grâce et de fierté sut composer sa voix.
Mais ce langage, armé d’obstacles indociles,
Lutte et ne veut plier que sous des mains habiles.
Est-ce un mal ? Eh ! plutôt rendons grâces aux dieux.
Un faux éclat longtemps ne peut tromper nos yeux ;
Et notre langue même, à tout esprit vulgaire
De nos vers dédaigneux fermant le sanctuaire,
Avertit dès l’abord quiconque y veut monter
Qu’il faut savoir tout craindre et savoir tout tenter,
Et, recueillant affronts ou gloire sans mélange,
S’élever jusqu’au faîte ou ramper dans la fange.



II

HERMÈS


Poème en trois chants.
Fragment I. — Prologue,


Dans nos vastes cités, par le sort partagés.
Sous deux injustes lois les hommes sont rangés :
Les uns, princes et grands, d’une avide opulence
Étalent sans pudeur la barbare insolence ;
Les autres, sans pudeur, vils clients de ces grands,
Vont ramper sous les murs qui cachent leurs tyrans.
Admirer ces palais aux colonnes hautaines
Dont eux-mêmes ont payé les splendeurs inhumaines,
Qu’eux-mêmes ont arrachés aux entrailles des monts,
Et tout trempés encor des sueurs de leurs fronts.

Moi, je me plus toujours, client de la nature,
À voir son opulence et bienfaisante et pure,
Cherchant loin de nos murs les temples, les palais
Où la Divinité me révèle ses traits.
Ces monts, vainqueurs sacrés des fureurs du tonnerre,
Ces chênes, ces sapins, premiers-nés de la terre.
Les pleurs des malheureux n’ont point teint ces lambris.
D’un feu religieux le saint poète épris
Cherche leur pur éther et plane sur leur cime.
Mer bruyante, la voix du poète sublime