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Délires insensés ! fantômes monstrueux !
Et d’un cerveau malsain rêves tumultueux !
Ces transports déréglés, vagabonde manie,
Sont l’accès de la fièvre et non pas du génie ;
D’Ormus et d’Ariman ce sont les noirs combats,
Où, partout confondus, la vie et le trépas,
Les ténèbres, le jour, la forme et la matière,
Luttent sans être unis ; mais l’esprit de lumière
Fait naître en ce chaos la concorde et le jour :
D’éléments divisés il reconnaît l’amour,
Les rappelle ; et partout, en d’heureux intervalles.
Sépare et met en paix les semences rivales.
Ainsi donc, dans les arts, l’inventeur est celui
Qui peint ce que chacun put sentir comme lui ;
Qui, fouillant des objets les plus sombres retraites,
Étale et fait briller leurs richesses secrètes ;
Qui, par des nœuds certains, imprévus et nouveaux,
Unissant des objets qui paraissaient rivaux,
Montre et fait adopter à la nature mère
Ce qu’elle n’a point fait, mais ce qu’elle a pu faire ;
C’est le fécond pinceau qui, sûr dans ses regards,
Retrouve un seul visage en vingt belles épars,
Les fait renaître ensemble, et, par un art suprême,
Des traits de vingt beautés forme la beauté même.
 
La nature dicta vingt genres opposés
D’un fil léger entre eux chez les Grecs divisés.
Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites,
N’aurait osé d’un autre envahir les limites,
Et Pindare à sa lyre, en un couplet bouffon,
N’aurait point de Marot associé le ton.
De ces fleuves nombreux dont l’antique Permesse
Arrosa si longtemps les cités de la Grèce,
De nos jours même, hélas ! nos aveugles vaisseaux
Ont encore oublié mille vastes rameaux.
Quand Louis et Colbert, sous les murs de Versailles,
Réparaient des beaux-arts les longues funérailles,
De Sophocle et d’Eschyle ardents admirateurs,
De leur auguste exemple élèves inventeurs,
Des hommes immortels firent sur notre scène