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POÈMES


I

L’INVENTION


 
Ô fils du Mincius, je te salue, ô toi
Par qui le dieu des arts fut roi du peuple-roi !
Et vous, à qui jadis, pour créer l’harmonie,
L’Attique et l’onde Egée, et la belle Ionie,
Donnèrent un ciel pur, les plaisirs, la beauté,
Des mœurs simples, des lois, la paix, la liberté,
Un langage sonore aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines !
Nul âge ne verra pâlir vos saints lauriers,
Car vos pas inventeurs ouvrirent les sentiers ;
Et du temple des arts que la gloire environne
Vos mains ont élevé la première colonne.
À nous tous aujourd’hui, vos faibles nourrissons,
Votre exemple a dicté d’importantes leçons.
Il nous dit que nos mains, pour vous être fidèles,
Y doivent élever des colonnes nouvelles.
L’esclave imitateur naît et s’évanouit ;
La nuit vient, le corps reste, et son ombre s’enfuit.

Ce n’est qu’aux inventeurs que la vie est promise.
Nous voyons les enfants de la fière Tamise,
De toute servitude ennemis indomptés ;
Mieux qu’eux, par votre exemple, à vous vaincre excités,
Osons ; de votre gloire éclatante et durable
Essayons d’épuiser la source inépuisable.
Mais inventer n’est pas, en un brusque abandon,
Blesser la vérité, le bon sens, la raison ;
Ce n’est pas entasser, sans dessein et sans forme,
Des membres ennemis en un colosse énorme ;
Ce n’est_pas, élevant des poissons dans les airs,
À l’aile des vautours ouvrir le sein des mers ;
Ce n’est pas sur le front d’une nymphe brillante
Hérisser d’un lion la crinière sanglante :